Lettre de M. XXX, publiée le 4 mai 2013 Monsieur Mercier,
C'est
(presque) par hasard que je suis tombé sur votre site, en tapant «
cours de mathématiques terminale C » dans mon moteur de recherche. Pourquoi
cette recherche (pas tout à fait) innocente ? Il me faut vous
l’expliquer un peu et, pardonnez-moi, vous parler brièvement de mon
parcours.
Né en 1984, j’entre au lycée en 1999 (petit lycée de
campagne lorraine – petit par la réputation, grand par la taille, comme
souvent dans les campagnes isolées). Je rencontre en première S un
professeur de mathématiques « traumatisant » comme on dirait
aujourd’hui, mais qui me fait aimer les maths et je passe mon bac S spé
maths en 2002. Désormais amateur de maths mais fondamentalement
biologiste, j’entre en classe prépa bio « BCPST », intègre une école
d’ingénieurs en 2004, puis revirement vers l’enseignement en 2008,
agrégation de « SVT » en 2009. J’enseigne maintenant au département de
génie biologique de l’IUT de Tours.
Mon père, qui a du
passer son bac D dans les années 1970, m’a légué (à peu près quand je
suis entré en classe prépa) ses manuels de maths de terminale, deux
ouvrages cartonnés « Cluzel et Vissio ». Ma grande
surprise de l’époque fut que, au premier ordre, le programme de maths
de cette terminale D « que les moins de vingt ans ne peuvent pas
connaître » se superposait pas mal à celui des deux années de BCPST… Mais
alors… que faisait-on en TC, filière mathématique par excellence ?
L’actuel programme de MPSI ? Nanti de cette question, de mon ordinateur
et d’un accès au web, j’ai fini par arriver sur votre site... et me
fais une petite idée de la réponse.
Pour la
petite histoire, j’ai gardé ces deux volumes cartonnés comme le
Saint Graal malgré leur aspect abject… deux couleurs (du noir pour le
texte et du rouge pour les « illustrations » minimalistes), un cours,
des exercices. Nous sommes bien loin des manuels actuels, où je reste
subjugué par l’inflation des parties… « le programme de l’année », «
mobiliser ses acquis des années antérieures », « activités », « évaluer
ses connaissances », « s’entraîner avec un exercice guidé », «
appliquer ses connaissances », « objectif Bac », « ateliers
d’exploration », « histoire des sciences », « fiche métier », « science
in english »…
Mais où est le cours ? Ah, le voici, « l’essentiel à
retenir », une médiocre double page avec un maigre texte écrasé à côté
de dessins simplistes (souvent un barbouillage de couleurs me
rappelant presque les dessins animés de Gulli).
Abjects, oui,
les manuels à grand-papa, mais recherchés chez les bouquinistes et pas
à moins de 30 euros sur PriceMinister… Pourra-t-on dire autant des
manuels actuels d’ici 20 ou 30 ans ? D’ailleurs, je serais bien
curieux de trouver des cours de biologie de Terminale D de l’époque,
mon père ne mettant plus la main sur les siens.
Le
niveau baisse-t-il ? Je n’ai pas encore lu l’intégralité de votre riche
site, je n’enseigne pas les maths mais la biologie… Mais, enseignant
quand même et amoureux des maths de surcroît, je ne peux pas rester de
marbre.
Je compare les traces des terminales C et D que
je vois à ce que j’ai vécu comme lycéen en 2000-2002, puis comme
enseignant depuis 2009.
Quid des exigences ? J’ai eu une
impression mitigée. Récemment, à l’occasion d’une réunion pédagogique à
l’IUT, j’ai présenté un comparatif synthétique des programmes de SVT
des classes de 1S et TS entre l’ancien programme et le nouveau (celui
de la réforme). Bilan ? En faisant le liste des thèmes, il y a peu de
choses qui disparaissent et beaucoup qui entrent. Le programme
s’enrichit donc, le niveau monte, nos actuels lycéens seront des
étudiants brillants, en SVT au moins ?
Je ne crois pas. Car si
le nombre de thèmes que l’on doit aborder augmente,
le nombre d’heures
ne suit pas et, finalement, on aborde, on effleure, mais on
n’approfondit pas : on zappe, on butine, on virevolte d’un thème à un
autre. On entre dans le sujet par des thèmes « d’actualité » (c'est-à-dire
racoleurs) mais les fondamentaux ne sont pas (plus) là. Que
restera-t-il aux élèves d’une surenchère de thèmes survolés, vus en
vitesse, de loin ? Que restera-t-il des mécanismes de la transcription
et de la traduction de l’information génétique, coincés entre le
téléthon et les cancers ?
Dans mon service
d’enseignement à l’IUT, il y a une bonne part d’écologie. Et si on le
sait beaucoup en ce qui concerne la physique, cela semble moins évident
à propos de l’écologie :
nous avons besoin des maths pour construire
des modèles. Même les plus élémentaires : une suite géométrique ou une
équation différentielle du premier ordre pour modéliser la croissance
d’une population par exemple.
Cela ne rate pas : lorsque je
couche la première équation sur le tableau, les grimaces déforment les
visages, les soupirs et les protestations s’élèvent. Puis les visages
blêmissent : « quoi, on peut avoir Ça en contrôle » ? Oui, « Ça », tant les
mathématiques semblent être pour les étudiants l’horreur indicible du
livre de Stephen King, la chose dont ils éprouvent une peur viscérale…
Et
je ne parle même pas des statistiques, avec lesquelles on nous rabat
les oreilles en lycée depuis qu’elles ont fait leur grande arrivée dans
les programmes.
Pourquoi ce rejet, ce mépris des
mathématiques ? Alors que finalement, rencontrer une équation
différentielle du premier ordre en écologie est plutôt rassurant : on a
réussi à rapporter un problème complexe à une situation mathématique
bien connue !
À faire croire que les sciences c’est
facile, que les sciences c’est ludique, que c’est sciences c’est jouer
à la dinette, c’est « C’est pas sorcier » tous les jours…
on perd plus
de vocations qu’on n’en crée. C’est pourtant évident dans le
sport, où on admettra facilement que regarder les exploits de tel ou
tel grand sportif suscite émerveillement, admiration, curiosité, envie
d’essayer à son tour, de travailler et retravailler avec acharnement –
en tous cas davantage qu’en faisant croire que c’est facile et à la
portée du premier venu. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement avec l’enseignement des sciences et des lettres.
Jusqu’à
ce que j’entre en classe de première S, j’avais connu les maths «
modernes » - je dirais « édulcorés ». Le prof que j’ai rencontré cette
année-là avait une autre façon de faire cours. S’il avait avant tout su
imposer le respect en classe, je voyais sous mes yeux le tableau noir
se remplir de lignes de formules impeccablement alignées, et ai trouvé
pour la première fois de la beauté dans les maths. Le cours magistral
au sens étymologique du terme : une œuvre de maître !
Bien sûr,
ce n’était pas une recette miracle : tous ne suivaient pas. Mais à
comparer cette méthode et celle en vogue, laquelle occasionne le plus
de gâchis ? À moins qu’il ne faille encore laisser s’écouler quelques
années et sacrifier quelques générations d’ex-futurs scientifiques tués
dans l’œuf avant d’oser répondre à cette question…
D’ailleurs,
pour l’anecdote, ce prof-là était finalement un peu l’irréductible
gaulois du lycée. Tous les profs de maths étaient absents tel jour pour
une formation « calculatrice-ordinateur-tableur-informatique »… Tous ?
Non…
Pourquoi faire ? Jamais une calculatrice n’était sortie sur demande, il fallait réduire de tête 88/256 + 23/512.
La
situation que vous décrivez en maths me choque. Abandonné le produit
vectoriel ? Oui, l’année où je suis entré en terminale. Mais grâce à
quelques profs irréductibles, j’y ai (heureusement) eu droit. Mais
disparu de prépa ? C’est ainsi que l’on forme les ingénieurs de demain
? En retirant les bases de mathématiques nécessaires à la physique et
aux sciences industrielles ?
Cela rejoint en partie mes
inquiétudes pour l’IUT : eux aussi sont réformés, pour la rentrée 2013,
suite logique de la réforme du lycée. Le volume des enseignements
transversaux va augmenter (communication, expression, projet
professionnel personnalisé etc.) et ce au détriment des enseignements
disciplinaires fondamentaux. Sauf les statistiques ! Ces fameuses
statistiques…
Encore que, pour l’anecdote, ceci me laisse
souvent perplexe. Les maths sont réduits à leur plus simple expression.
Il y a, par exemple, du calcul intégral, mais compte tenu du nombre
d’heures allouées on n’ira probablement pas plus loin que le douloureux
rappel du programme de terminale auprès d’élèves qui sont, pour la
majorité, dégoûtés des maths depuis longtemps.
À côté de ça, le
programme de statistiques précise d’introduire la notion de « matrice de
variance-covariance » pour les analyses multivariées… alors qu’il n’y a
nulle part de calcul matriciel ou d’algèbre linéaire ! Lors
de notre dernière réunion pédagogique pour préparer la rentrée 2013 et
réorganiser nos enseignements, nous nous sommes finalement vus réduits
à faire des économies sur la culture générale. Adieu, les fondamentaux
disciplinaires nécessaires à l’esprit critique. Demain, des techniciens
formatés au presse-bouton ?
Faire plus de communication… oui… en
biologie, on aime bien la communication : entre cellules, entre
organismes… et on apprend très vite que dans la communication, il y a
un message, un contenu, à transmettre. Je crois que les personnes à
l’origine de cette réforme l’ont oublié.
Finalement,
les BTS, les IUT et les classes prépa marchaient bien en France. Plutôt
que d’étendre les conditions de travail et d’encadrement aux filières «
d’échec » dans le collimateur des politiques, tout est démantelé et
nivelé par le bas.
Je me doute que vous avez autre
chose à faire que de lire les bafouilles des internautes et vous
remercie de votre indulgence si vous avez tenu jusque-là.
Surtout continuez à alimenter votre site !
Très cordialement,
XXX
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Appel à contribution -
Collègues des écoles, du collège, du lycée, de CPGE, de
l'université, étudiants... Vous pouvez m'envoyer vos opinions
personnelles sur le devenir des études scientifiques, sur les méthodes
employées, les réussites et les échecs. On peut en parler en bien ou en
mal, de ces réformes. Qu'en pensez-vous ?
Je pourrai vous
donner la parole (et vous pourrez utiliser un pseudonyme pour que votre
parole soit véritablement libérée) sur l'une des pages de MégaMaths
indexées dans
Perspectives de l'enseignement des mathématiques.
Vous pouvez parler des études scientifiques aussi, car nous sommes tous
dans le maelstrom des réformes saugrenues et dans l'expectative de voir
nos enseignements déformés et réduits à une peau de chagrin.
Cela fait
toujours chaud
au coeur de voir que d'autres collègues ressentent ce que l'on
ressent. Peu s’expriment, par manque de temps ou simplement parce
que l’on doit vivre et que l’on peut considérer comme inutile de se
battre contre des moulins. Les réformes proposées sont tournées de
façon à plaire au grand public, et présentées à chaque fois comme le
progrès absolu, même si ce progrès absolu change tous les trois ans
environ, et comme on le sait tous, on ne peut pas lutter contre le
progrès ! La manipulation est grossière, mais très efficace car
qui peut avoir le recul suffisant pour connaître ce que vous,
enseignants de sciences et spécialistes de vos matières, pouvez
découvrir ?