Mais où est le cours ? Il tient en deux pages !

 


Introduction - Voici une lettre magistrale qui m'a été adressée. Cette lettre explique sans détours ce que l'on peut ressentir quand on se voit obligé d'appliquer les dernières recettes « pédagogico-politiques » à la mode. L'auteur ne parle pas de mathématiques, mais de SVT. Il dit les choses précisément, et il les dit bien.

C'est aussi ce que je découvre de plus en plus maintenant : les réformes et nouveaux enjeux ne se sont pas limités à « casser des maths » au lycée, mais ont touché tous les enseignements scientifiques. Cet abaissement des études scientifiques au lycée a été orchestré par la baisse des horaires, le choix des programmes, et l’idéologie qui a présidé à la définition des méthodes à mettre en oeuvre. C’est grave, puisque toutes les études post BAC seront touchées par cette baisse des exigences et la disparition de l’étude des fondamentaux.

Construire son savoir, ce n'est pas agréger des connaissances éparses et superficielles, c'est acquérir un socle solide de connaissances précises sur lequel on pourra compter pour avancer dans ses études scientifiques. C'est aussi « apprendre à raisonner », car on a besoin de raisonner juste pendant toute sa vie. C'est enfin acquérir des méthodes et des savoir-faire que l'on pourra réutiliser dès que cela devient nécessaire. Dans la lettre qui suit, on rappelle que résoudre une équation différentielle simple est nécessaire en SVT, mais on apprend que ce n'est pas connu des étudiants d'IUT.

L'auteur a aimablement accepté que je reproduise sa lettre sur cette page de MégaMaths. Qu'il en soit remercié. Cette lettre vaut le coup d'être lue.


 


Lettre de M. XXX, publiée le 4 mai 2013

 Monsieur Mercier, 

C'est (presque) par hasard que je suis tombé sur votre site, en tapant « cours de mathématiques terminale C » dans mon moteur de recherche. Pourquoi cette recherche (pas tout à fait) innocente ? Il me faut vous l’expliquer un peu et, pardonnez-moi, vous parler brièvement de mon parcours.

Né en 1984, j’entre au lycée en 1999 (petit lycée de campagne lorraine – petit par la réputation, grand par la taille, comme souvent dans les campagnes isolées). Je rencontre en première S un professeur de mathématiques « traumatisant » comme on dirait aujourd’hui, mais qui me fait aimer les maths et je passe mon bac S spé maths en 2002. Désormais amateur de maths mais fondamentalement biologiste, j’entre en classe prépa bio « BCPST », intègre une école d’ingénieurs en 2004, puis revirement vers l’enseignement en 2008, agrégation de « SVT » en 2009. J’enseigne maintenant au département de génie biologique de l’IUT de Tours.

 Mon père, qui a du passer son bac D dans les années 1970, m’a légué (à peu près quand je suis entré en classe prépa) ses manuels de maths de terminale, deux ouvrages cartonnés « Cluzel et Vissio ». Ma grande surprise de l’époque fut que, au premier ordre, le programme de maths de cette terminale D « que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître » se superposait pas mal à celui des deux années de BCPST… Mais alors… que faisait-on en TC, filière mathématique par excellence ? L’actuel programme de MPSI ? Nanti de cette question, de mon ordinateur et d’un accès au web, j’ai fini par arriver sur votre site... et me fais une petite idée de la réponse.

Pour la petite histoire, j’ai gardé ces deux volumes cartonnés comme le Saint Graal malgré leur aspect abject… deux couleurs (du noir pour le texte et du rouge pour les « illustrations » minimalistes), un cours, des exercices. Nous sommes bien loin des manuels actuels, où je reste subjugué par l’inflation des parties… « le programme de l’année », « mobiliser ses acquis des années antérieures », « activités », « évaluer ses connaissances », « s’entraîner avec un exercice guidé », « appliquer ses connaissances », « objectif Bac », « ateliers d’exploration », « histoire des sciences », « fiche métier », « science in english »… Mais où est le cours ? Ah, le voici, « l’essentiel à retenir », une médiocre double page avec un maigre texte écrasé à côté de dessins simplistes (souvent un barbouillage de couleurs me rappelant presque les dessins animés de Gulli).

Abjects, oui, les manuels à grand-papa, mais recherchés chez les bouquinistes et pas à moins de 30 euros sur PriceMinister… Pourra-t-on dire autant des manuels actuels d’ici 20 ou 30 ans ? D’ailleurs, je serais bien curieux de trouver des cours de biologie de Terminale D de l’époque, mon père ne mettant plus la main sur les siens. 

Le niveau baisse-t-il ? Je n’ai pas encore lu l’intégralité de votre riche site, je n’enseigne pas les maths mais la biologie… Mais, enseignant quand même et amoureux des maths de surcroît, je ne peux pas rester de marbre. 

Je compare les traces des terminales C et D que je vois à ce que j’ai vécu comme lycéen en 2000-2002, puis comme enseignant depuis 2009.

Quid des exigences ? J’ai eu une impression mitigée. Récemment, à l’occasion d’une réunion pédagogique à l’IUT, j’ai présenté un comparatif synthétique des programmes de SVT des classes de 1S et TS entre l’ancien programme et le nouveau (celui de la réforme). Bilan ? En faisant le liste des thèmes, il y a peu de choses qui disparaissent et beaucoup qui entrent. Le programme s’enrichit donc, le niveau monte, nos actuels lycéens seront des étudiants brillants, en SVT au moins ?

Je ne crois pas. Car si le nombre de thèmes que l’on doit aborder augmente, le nombre d’heures ne suit pas et, finalement, on aborde, on effleure, mais on n’approfondit pas : on zappe, on butine, on virevolte d’un thème à un autre. On entre dans le sujet par des thèmes « d’actualité » (c'est-à-dire racoleurs) mais les fondamentaux ne sont pas (plus) là. Que restera-t-il aux élèves d’une surenchère de thèmes survolés, vus en vitesse, de loin ? Que restera-t-il des mécanismes de la transcription et de la traduction de l’information génétique, coincés entre le téléthon et les cancers ?

Dans mon service d’enseignement à l’IUT, il y a une bonne part d’écologie. Et si on le sait beaucoup en ce qui concerne la physique, cela semble moins évident à propos de l’écologie : nous avons besoin des maths pour construire des modèles. Même les plus élémentaires : une suite géométrique ou une équation différentielle du premier ordre pour modéliser la croissance d’une population par exemple.

Cela ne rate pas : lorsque je couche la première équation sur le tableau, les grimaces déforment les visages, les soupirs et les protestations s’élèvent. Puis les visages blêmissent : « quoi, on peut avoir Ça en contrôle » ? Oui, « Ça », tant les mathématiques semblent être pour les étudiants l’horreur indicible du livre de Stephen King, la chose dont ils éprouvent une peur viscérale…

Et je ne parle même pas des statistiques, avec lesquelles on nous rabat les oreilles en lycée depuis qu’elles ont fait leur grande arrivée dans les programmes.

Pourquoi ce rejet, ce mépris des mathématiques ? Alors que finalement, rencontrer une équation différentielle du premier ordre en écologie est plutôt rassurant : on a réussi à rapporter un problème complexe à une situation mathématique bien connue !

À faire croire que les sciences c’est facile, que les sciences c’est ludique, que c’est sciences c’est jouer à la dinette, c’est « C’est pas sorcier » tous les jours… on perd plus de vocations qu’on n’en crée. C’est pourtant évident dans le sport, où on admettra facilement que regarder les exploits de tel ou tel grand sportif suscite émerveillement, admiration, curiosité, envie d’essayer à son tour, de travailler et retravailler avec acharnement – en tous cas davantage qu’en faisant croire que c’est facile et à la portée du premier venu. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement avec l’enseignement des sciences et des lettres.

Jusqu’à ce que j’entre en classe de première S, j’avais connu les maths « modernes » - je dirais « édulcorés ». Le prof que j’ai rencontré cette année-là avait une autre façon de faire cours. S’il avait avant tout su imposer le respect en classe, je voyais sous mes yeux le tableau noir se remplir de lignes de formules impeccablement alignées, et ai trouvé pour la première fois de la beauté dans les maths. Le cours magistral au sens étymologique du terme : une œuvre de maître !

Bien sûr, ce n’était pas une recette miracle : tous ne suivaient pas. Mais à comparer cette méthode et celle en vogue, laquelle occasionne le plus de gâchis ? À moins qu’il ne faille encore laisser s’écouler quelques années et sacrifier quelques générations d’ex-futurs scientifiques tués dans l’œuf avant d’oser répondre à cette question…

D’ailleurs, pour l’anecdote, ce prof-là était finalement un peu l’irréductible gaulois du lycée. Tous les profs de maths étaient absents tel jour pour une formation « calculatrice-ordinateur-tableur-informatique »… Tous ? Non…

Pourquoi faire ? Jamais une calculatrice n’était sortie sur demande, il fallait réduire de tête 88/256 + 23/512.

 La situation que vous décrivez en maths me choque. Abandonné le produit vectoriel ? Oui, l’année où je suis entré en terminale. Mais grâce à quelques profs irréductibles, j’y ai (heureusement) eu droit. Mais disparu de prépa ? C’est ainsi que l’on forme les ingénieurs de demain ? En retirant les bases de mathématiques nécessaires à la physique et aux sciences industrielles ? 

Cela rejoint en partie mes inquiétudes pour l’IUT : eux aussi sont réformés, pour la rentrée 2013, suite logique de la réforme du lycée. Le volume des enseignements transversaux va augmenter (communication, expression, projet professionnel personnalisé etc.) et ce au détriment des enseignements disciplinaires fondamentaux. Sauf les statistiques ! Ces fameuses statistiques…

Encore que, pour l’anecdote, ceci me laisse souvent perplexe. Les maths sont réduits à leur plus simple expression. Il y a, par exemple, du calcul intégral, mais compte tenu du nombre d’heures allouées on n’ira probablement pas plus loin que le douloureux rappel du programme de terminale auprès d’élèves qui sont, pour la majorité, dégoûtés des maths depuis longtemps. À côté de ça, le programme de statistiques précise d’introduire la notion de « matrice de variance-covariance » pour les analyses multivariées… alors qu’il n’y a nulle part de calcul matriciel ou d’algèbre linéaire ! 

Lors de notre dernière réunion pédagogique pour préparer la rentrée 2013 et réorganiser nos enseignements, nous nous sommes finalement vus réduits à faire des économies sur la culture générale. Adieu, les fondamentaux disciplinaires nécessaires à l’esprit critique. Demain, des techniciens formatés au presse-bouton ?

Faire plus de communication… oui… en biologie, on aime bien la communication : entre cellules, entre organismes… et on apprend très vite que dans la communication, il y a un message, un contenu, à transmettre. Je crois que les personnes à l’origine de cette réforme l’ont oublié.

 Finalement, les BTS, les IUT et les classes prépa marchaient bien en France. Plutôt que d’étendre les conditions de travail et d’encadrement aux filières « d’échec » dans le collimateur des politiques, tout est démantelé et nivelé par le bas.

 Je me doute que vous avez autre chose à faire que de lire les bafouilles des internautes et vous remercie de votre indulgence si vous avez tenu jusque-là.

Surtout continuez à alimenter votre site !

 Très cordialement,
 XXX


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Appel à contribution - Collègues des écoles, du collège, du lycée, de CPGE, de l'université, étudiants... Vous pouvez m'envoyer vos opinions personnelles sur le devenir des études scientifiques, sur les méthodes employées, les réussites et les échecs. On peut en parler en bien ou en mal, de ces  réformes. Qu'en pensez-vous ?
Je pourrai vous donner la parole (et vous pourrez utiliser un pseudonyme pour que votre parole soit véritablement libérée) sur l'une des pages de MégaMaths indexées dans Perspectives de l'enseignement des mathématiques. Vous pouvez parler des études scientifiques aussi, car nous sommes tous dans le maelstrom des réformes saugrenues et dans l'expectative de voir nos enseignements déformés et réduits à une peau de chagrin.
Cela fait toujours chaud au coeur de voir que d'autres collègues ressentent ce que l'on ressent. Peu s’expriment, par manque de temps ou simplement parce que l’on doit vivre et que l’on peut considérer comme inutile de se battre contre des moulins. Les réformes proposées sont tournées de façon à plaire au grand public, et présentées à chaque fois comme le progrès absolu, même si ce progrès absolu change tous les trois ans environ, et comme on le sait tous, on ne peut pas lutter contre le progrès ! La manipulation est grossière, mais très efficace car qui peut avoir le recul suffisant pour connaître ce que vous, enseignants de sciences et spécialistes de vos matières, pouvez découvrir ?