Travaille-t-on mieux dans des classes à gros effectifs ?
25 septembre 2011
Dans
une note du Ministère de l’Education Nationale de mai 2010, le Ministre
Luc Chatel précise que : « hors cas ou situations spécifiques, les
études et expériences les plus récentes indiquent que la diminution des
effectifs dans les classes n’a pas d’effet avéré sur les résultats des
élèves ».
Ce genre d’affirmation va à l’encontre du bon sens et
de ce qu’un professeur peut vérifier sur le terrain. On nous explique
ici que des expériences scientifiques démontrent sans l’ombre d’un
doute qu’un élève obtient d’aussi bon résultats dans une classe
surchargée que dans une classe à effectifs réduits.
Dans les
faits, tout pédagogue de terrain apprend vite qu’il est beaucoup plus
difficile de discipliner des élèves, et ainsi instaurer une atmosphère
de travail indispensable à tout apprentissage, lorsqu’il a en charge
une classe de 35 au lieu d’une classe de 12 élèves. Il est du
reste évident que le temps d’attention T (en secondes) accordé par le
professeur à un élève donné pendant une heure de cours est inversement
proportionnel au nombre N d’élèves de la classe, autrement dit :
T=3600/N
Un
élève immergé dans une classe de 35 pourra a priori capter l’attention
de son professeur pendant 1 minute 42 secondes, tandis que le même
élève placé dans une classe de 12 élèves pourra obtenir cette attention
pendant 5 bonnes minutes.
Pour notre ministre, cela n’aurait
aucune espèce d’importance sur les progrès que pourraient réaliser les
élèves. Dans ce refus du bon sens, l’objectif n’est-il pas seulement de
donner des arguments pour supprimer de nombreux postes de professeurs
et alléger le coût du service public d’éducation ?
La
revue Science & Vie n° 1128 de septembre 2011 (A.E., 2011) nous
donne un autre son de cloche dont je me fais l’écho ci-dessous.
Des statistiques à l’emporte-pièce
Il
existe effectivement des études qui concluent sur l’effet nul, et même
négatif, des petites structures de classes comparées aux grandes
structures. Dans la pratique, il s’agit de statistiques biaisées, comme
le sont souvent les statistiques utilisées à hue et à dia pour
démontrer ce que l’on désire.
Arthur Charpentier, chercheur de
statistiques à l’Université de Rennes I, remarque que les petites
classes étudiées sont en général choisies dans des milieux ruraux ou
dans des quartiers défavorisés, autrement dit dans des zones où le
niveau d’éducation des parents est plus faible et où le niveau général
des élèves est traditionnellement plus bas.
Comme le dit Thomas Piketty dans un article du Monde daté du 21 février 2006 (Piketty) :
«
Si l'on examine la corrélation brute entre taille de classe et réussite
scolaire, on constate qu'elle va dans le mauvais sens : les élèves
placés dans des classes plus petites ont plutôt tendance à avoir de
moins bons résultats scolaires que les autres !
Cela vient
évidemment du fait que des classes plus réduites ont précisément
tendance à être allouées aux écoles plus défavorisées au départ,
handicap initial que le léger ciblage des moyens ne peut compenser.
On
peut certes raisonner « toutes choses égales par ailleurs »,
c'est-à-dire en comparant des écoles ayant le même pourcentage
d'ouvriers, appartenant au même type d'agglomérations, etc. Mais cela
n'est généralement pas suffisant, car il existe souvent des
caractéristiques non observables pour le chercheur mais connues des
acteurs locaux expliquant pourquoi deux écoles apparemment semblables
ont obtenu des tailles de classes différentes. »
Je
rajouterai que dans les collèges uniques et les lycées actuels, les
classes à effectifs réduits sont souvent celles qui regroupent des
élèves en situation d’échec scolaire, même si cela n’est pas affiché
officiellement. Un professeur de mathématiques de lycée en poste en
2011-12 m’a confié récemment qu’il enseignait dans des classes de
terminales S et de première S à 35 élèves qui regroupaient de « bons »
élèves, mais que certains de ses collègues devaient se dépêtrer avec
des classes de technologie regroupant seulement une vingtaine d’élèves
biens connus pour poser des problèmes de discipline et être peu enclins
au travail. Que gagnerait-on à ausculter les résultats obtenus
dans ces classes pour en déduire quoi que ce soit au niveau de la
corrélation entre les effectifs et les résultats ? Quelles conclusions
sensées pourrait-on attendre d’une étude statistique menée dans ces
classes ? Pourquoi s’acharner ainsi sur les « bons élèves » que l’on
sanctionne injustement en les plaçant dans des classes surchargées où
ils auront moins d’échanges avec leurs professeurs ?
Encore une
fois les statistiques sont assénées au mortier sans que l’on prenne
garde des conditions élémentaires qui doivent présider à de telles
études. Une multitude de variables peuvent être corrélées et invalider
un résultat qui paraît sensationnel, et ne pas en tenir compte dans les
conditions de mise en œuvre de ces « sondages » relève de la
désinformation.
Une étude américaine sur 79 écoles primaires
Une
étude statistique doit être menée à « grande échelle ». L’étude du
projet Star débuté en 1985 aux USA a impliqué des milliers d’élèves du
Tennessee, et coûté 13 millions de dollars. Les élèves, issus de
villes, de banlieues ou de la campagne, ont été suivis pendant de
nombreuses années et la conclusion est remarquable (A.E., 2011) :
- Les résultats des élèves sont meilleurs dans les classes à effectifs réduits.
- Ces résultats meilleurs sont observés dès la première année où l’élève est placé dans une petite classe.
- Les
résultats des élèves de milieux défavorisés s’améliorent encore plus
vite quand ceux-ci sont placés dans des petites structures.
- Les
très jeunes enfants de maternelle ou de début du primaire placés quatre
années consécutives dans des classes à effectifs réduits conservent un
réel avantage pendant toute leur scolarité future.
Une étude menée en France par l’EHESS
C’est
en se basant sur la loi de Maïmonide qu’une étude statistique sur les
petits effectifs fut menée en France en 2006, sous la houlette de T.
Piketty et M. Valdenaire de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences
Sociales (Piketty, et al., 2006).
Au XIIe siècle, le médecin,
philosophe et théologien juif Maïmonide stipulait que l’on
devait scinder une classe en deux à partir du moment où l’effectif
dépassait 40 élèves. L’étude statistique de T. Piketty et M. Valdenaire
consiste à s’intéresser aux « très fortes oscillations de la taille
moyenne des classes en fonction de la cohorte se présentant à l’entrée
en CE1 », sachant que les classes qui approchent l’effectif de 30
élèves doivent être scindées, et à déceler si ces variations
d’effectifs en CE1 possède un impact sur les résultats aux évaluations
de CE2 en début d’année suivante.
Le tableau ci-dessous extrait
de (Piketty, et al., 2006) montre que les scores sont d’autant plus
élevés que l’effectif de la classe est bas.
En
fait, les auteurs concluent à l’effet positif des petits effectifs de
classes sur les résultats des élèves, ceci à n’importe quel niveau
d’enseignement, mais insistent aussi pour dire que cet effet positif
est particulièrement visible quand les écoles sont situées dans des
zones sociales défavorisées.
Dany-Jack Mercier
Références
A.E.
2011. Le nombre d’élèves par classe a-t-il un effet sur les résultats
scolaires. Science & Vie. Septembre 2011, pp. 130-132.
Piketty,
T. et Valdemaire, M. 2006. L'impact de la taille des classes sur la
réussite scolaire dans les écoles, collèges et lycées français -
Estimations à partir du panel primaire 1997 et du panel secondaire
1995. Paris : Ministère de l'Education Nationale, Les Dossiers n°173,
2006.
Piketty, Thomas. Quelle discrimination positive à la française ? Le Monde du 21 février 2006.