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Histoire vécue en Martinique : sauvés grâce à Thalès !

    Dimanche 21/11/2010 :  Nous sommes partis de Port Coé au Lamentin en Martinique à 2 bateaux de 7 et 9 m de long (4 personnes par bateau) pour une mission humanitaire à destination de Saint-Lucie qui a subi le cyclone Toma il y 15 jours.

    Sainte-Lucie est une Ile située à 45 km au sud de la Martinique. Nous avons apporté 200 Packs d’eau minérale et une grande cargaison de conserves, et féculents qui manquent cruellement actuellement dans le sud de l’ile la plus touchée par le cyclone. Une fois notre mission accompli, nous avons repris le chemin du retour, à vide cette fois, et à grande vitesse. Le bateau qui nous accompagnait étant beaucoup plus rapide que celui de mon ami, est parti bien devant. Tout allait bien, avec une mer ayant des creux de 1,50 à 2 m. Par trop gros quoi.

    A l’approche de la côte de la Martinique, face au rocher du diamant (Ilot fait d’un immense piton rocheux de lave Trachi-Andésitique typique, au large de la ville du diamant), le bateau se met à ne plus déjauger, c'est-à-dire qu’il se cabre un peu et les moteurs ne le font plus avancer que très lentement, en forçant beaucoup.

    Nous essayons de contre-balancer le centre de gravité en nous mettant à trois personnes sur la proue, mais rien n’y fait. Le bateau se cabrant de plus en plus, nous n’avançons presque plus. Nous ouvrons le coffre arrière du bateau : il est rempli d’eau. Nous comprenons alors que la situation est grave. J’appelle mon Epouse qui est à terre avec les enfants pour la lui demander de prévenir les secours en mer. Mais je n’ai même pas le temps de lui donner notre position car dans les 10 secondes qui suivent, les moteurs s’arrêtent car sous l’eau, les batteries aussi, car la cabine à l’avant du bateau s’est aussi remplie d’eau en quelques secondes.

    Je sort alors le sac de gilet de sauvetage, les distribue à tous et jette le sac avec les 4 autres gilets à la mer, mon ami prend une corde, je jette par-dessus bord tout ce qui peut flotter et nous faire repérer, glacière, body board, fritte, palmes, nous arrachons le coussin accroché au siège de détente pour faire un radeau, puis je prends mon sac de plage en plastique et met dedans mon portable,  une bouteille d’eau qui flottait dans la cabine et la boite de fusée éclairante. Mais je n’ai pas le temps de réagir car le bateau s’est mis brusquement à la verticale et je suis expulsé violement. Dans mon plongeon je laisse échapper mon sac : la boite de fusée en est certainement sortie et a été emportée par les vagues de 2 m qui subitement me semblaient plus grosses. Je rattrape mon sac et miraculeusement mon portable est resté dedans.

     Nous encordons tous et nous accrochons sur le body board et le coussin de bateau qui flotte très bien. Le bateau reste encore une petite minute la proue émergeante, puis disparait définitivement dans l’eau, dans un petit tourbillon. Et, là il est 15h30 environ une grande angoisse nous saisi : personne ne sait où nous sommes, et la nuit va tomber d’ici 2h00-2h30. Il nous semble que le rocher du diamant est proche environ 1 km peut être 2. Et puis mon téléphone se met à sonner ! Il est étanche ! (Pub : Samsung B2100).

    Le centre des secours en mer m’appelle (le CROSS AG) et me demande de nous situer pour envoyer du secours. Je leur indique une position au large entre les Anses d’Arlet et le Rocher du Diamant. A chaque fois que je parle je reçois un paquet de mer dans la bouche, et la communication est mauvaise. Ils m’indiquent qu’ils vont envoyer un bateau qui est dans la zone des Anses d’Arlet, il devrait nous rejoindre dans les 25 minutes.

    L’attente commence. Au bout de 25 minutes je rappelle au numéro du Cross AG pour leur indiquer que nous ne voyons rien venir. Ils me demandent alors de repréciser la position. Je répète encore une fois, puis me disent que le bateau va directement m’appeler pour que je le guide. Attente de 25 autres minutes. Puis le bateau appelle. Ils me disent ne pas nous trouver, ce que je sais déjà ! Puis me demande de repréciser encore une fois la position. Heureusement car, ma première communication et la seconde avait du être très mauvaise car ils avaient compris que nous étions en face au sud de la ville du Diamant, soit à une dizaine de kilomètres d’où nous nous trouvions réellement.

    Ils me disent qu’ils changent de cap et arrivent. Au bout de 30 minutes supplémentaires, nous ne voyions toujours rien, et le soleil est très bas sur l’horizon, si nous ne sommes pas trouvés avant la nuit, il faudra la passer en mer. Mes camarades d’infortune ont du mal à se faire à cette idée, et j’avoue que moi encore plus. Au bout de 30 autres minutes, rien ne se passe. Aucun bateau.

    Je les appelle et ils me disent être dans la zone que je leur ai indiqué à 1 Km au large du Rocher du Diamant. Ils continuent de nous chercher et nous demande d’en faire autant. Cela dure 20 minutes. Je les rappelle. Ils ne comprennent pas et je sens qu’ils sont aussi inquiets avec la nuit qui va tomber d’ici 20 minutes. C’est alors que je leur dis que nous sommes peut être plus loin que ce que nous estimons à vu d’homme.

    Et, là je dis merci à un de mes Mathématiciens préféré, Thalès. Je demande au sauveteur s’il connaît le Théorème de Thalès. Il me dis que non, et me demande de ne pas paniquer croyant que je commençais à délirer. Mais je me mets à parler vite et lui demande s’il connaît la hauteur du Rocher du Diamant que j’ai en ligne de mire. Il me dit que ses cartes lui donnent si je me souviens bien 178m. Je tends alors mon bras au ras de l’eau (avec les creux ce n’était pas facile) et vise mon pouce que je mets verticalement comme un Romain demandant la vie au Cirque Maximus. Je masque le rocher d’un demi pouce soit environ 2,5 cm. La longueur de mon bras faisant 75cm environ. Je lui demande alors de faire le calcul (178/0.025)*0.75 = 5340 m. Qu’il confond pendant quelques secondes avec 5 miles 300, des miles nautiques, qui font presque 10 km. Je lui dis que le résultat est en mètres. Il me demande si je suis certain de ce calcul. Je lui dis à l’erreur de visée et houle près, il est vrai depuis 2500 ans environ. Il me dit alors qu’ils prennent un cap au large car ils étaient trop près des côtes. L’attente recommence, mais cette fois la nuit tombe pour de bon. Et là, un bruit de moteur, au loin, qui se rapproche, mais le cap n’est pas bon, ils passent à 500 m à l’ouest de notre position, ils ne nous voient pas. Je les appelle pour les guider. Et, là c’est à n’y rien comprendre : deux autres bateaux surgissant de nulle part (des plaisanciers réquisitionnés ai-je appris plus tard) et un hélicoptère de la Gendarmerie arrivent tous en même temps sur nous avec le bateau de la SNSM avec qui je communiquais. Ils plongent nous hissent à bord. Il est 17h45, il fait nuit noire.

     Au cours du débrieffing obligatoire après pour apaiser la tension, ils nous ont dit que sans le téléphone portable étanche et mon calcul nous y serions encore et sûrement définitivement. Car le calcul était pratiquement bon. Le point de repêchage était à 4,8 km du rocher du Diamant.

    Merci à mon Orange gardien (c’est aussi mon opérateur) et à mon copain Thalès. Comme quoi l’adage en entête de Mégamaths est bien vrai « Tout travail, toute connaissance, sera utile, mais pas nécessairement de la façon dont on le pense. ».

Philippe Auria